Nous avons appareillé le 21 novembre 1969 pour une opération d'envergure : S'approcher
suffisamment des côtes Françaises pour simuler le tir d'un missile par un sous-marin
avec une armada prête à nous stopper dans notre tentative.
Nous avons plongé dans la nuit à 0H30, et avons effectué des essais, tout avait l'air
de fonctionner correctement. Nous étions en route pour rejoindre le point de départ de
l'exercice TOUCAN. La route était longue car nous devions rallier une zone située près
des Açores. Nous devions remonter jusqu'au large de Lorient, dans une zone bien
délimitée, y faire surface et tenir cinq minutes pour valider la réussite du tir
fictif d'un missile. Cet exercice était, de toute évidence, destiné à tester les
capacités du matériel et du potentiel humain à réussir cette entreprise ou de la mettre
en échec. Les moyens mis en œuvre pour nous contrer furent énormes. L'ensemble des
forces aéronavales disponibles à LANN BIHOUE et plus de la moitié de la base
NIMES GARONS et quelques bâtiments de surface sont de la partie.
Nous sommes le 23 novembre nous transitons alternativement en plongée et au schnorchel
vers le point de départ nous ne sommes pas encore en discrétion totale. L'équipage est
calme, les uns dorment pendant que les autres jouent aux cartes, lisent ou écrivent.
L'ambiance est bonne, nous écoutons parfois de la musique. Les jours passent (boulot,
repas , séances de cinéma, dodo, etc.)... A remarquer, nous avions le meilleur commis
aux vivres et le meilleur cuistot de toute la Royale, les armes absolues pour fédérer
un équipage et le lier à son encadrement. Pour la petite histoire, notre commis
trouvait le moyen de distribuer une plaque de chocolat au lait à chaque membre
d'équipage à chaque séance de cinéma. Longtemps, nous nous sommes demandé : Comment
fait-il ? Nous avions un commis qui avait le don de la perspicacité et de
l'opportunité. Il réussissait à emporter des rations de vivres qui étaient destinées
à des bâtiments ayant un équipage 3 fois plus nombreux... Oups! je n'ai rien dit. Il
passait énormément de temps à placer et à classer ses vivres dans sa cambuse pour
notre plus grand bonheur. Mais ça n'est pas tout, il était je crois, Boulanger
Pâtissier dans le civil. Et une certaine complicité avec le Commandant lui permettait
tous les dimanches en mer, de nous faire brioches, croissants et petits pains au
chocolat pour notre plus grand bonheur... Le Nirvana quoi...
Le 25 novembre à 0H00, je prenais le quart, nous commencions le transit discret.
Maintenant les choses sérieuses commencent... Il n'est plus question de laisser
"l'ennemi" nous pister car il aurait toute latitude pour nous surprendre
dès le début officiel de l'exercice. Maintenant le pacha va mettre en œuvre toute sa
science pour assurer l'invisibilité du bâtiment avec tous les moyens en sa possession.
Nous sommes le 27novembre, notre marche est ponctuée de nombreuses recharges de
batterie avec des alertes "avion !". Mais déjà, nous connaissons quelques
problèmes de schnorchel. Ce matin a 7H00, j'ai eu une petite réprimande du pacha : Je
venais de prendre le quart aux barres de plongée et nous ne savions pas encore les
problèmes qui se préparaient. Je n'étais pas réputé être mauvais barreur, l'immersion
ordonnée était de 11 mètres 50. Tout à coup un ordre nous arrive "Immersion
clapet", je mets donc mes barres à descendre pour une immersion de 13 mètres 30.
Dans l'action, un second ordre nous parvient : "12 mètres". Le temps de
ramener mes barres à monter, un certain temps s'écoule (ce sont quelques secondes,
tout au plus une quinzaine), l'Ingénieur Mécanicien arrive au central et me dit :
"DORING ! immersion 12 mètres ordonnée", et moi de lui répondre :
"Ce n'est pas un vélo SOLEX". Le Commandant m'avait entendu faire cette
remarque et n'étant pas très disposé à la plaisanterie... Aie! Aie! Aie!.. Il vint
me trouver et me dit :"DORING que se passe-t-il ? Quelque chose ne va pas",
"Mais, Commandant !", "Il n'y a pas de «Mais, Commandant !», vous
avez tort, allez prendre le sonar pour le reste de votre poste !". C'était là
ma punition pour n'avoir pas su obéir sans réfléchir. Voilà donc un épisode
malheureux qui me vaut la première et unique réprimande du pacha sur le sous-marin
VÉNUS. Mais dans la journée, cet incident prenait une tout autre tournure. Tout
d'abord, le temps de fermeture du clapet de tête du schnorchel était devenu trop
lent ce qui devenait de plus en plus dangereux, nous embarquions des tonnes d'eau.
Il ne faut pas oublier que le tube d'air est une ouverture importante rendant le
bateau extrêmement vulnérable.
Le 28 novembre. Nous avons tellement insisté que nous avons fini par bloquer le
clapet de tête ouvert. Nos chances de réussite s'amenuisent, la charge des
batteries va devenir très difficile. En affalant le tube d'air, le joint
supérieur est suffisamment étanche pour plonger. Nous sommes dans l'obligation de
nous mettre en immersion périscopique très haute pour sortir le tube d'air afin de
lancer les diesels et pouvoir assurer la charge, les alertes "avions !"
sont fréquentes. Cette situation est très critique et demande une attention toute
particulière, nous devons presque sortir le haut du kiosque pour ne pas embarquer
trop d'eau à la sortie ou à la rentrée du tube d'air. nous prenons des risques
énormes en faisant du schnorchel dans ces conditions, mais l'exercice a mis en
œuvre de gros moyens et nous nous devons de ne pas décevoir. Nous sommes passés
en régime «économie d'électricité et d'oxygène», les éclairages sont réduits au
stricte minimum et il est interdit de se déplacer dans le bord inutilement, mise
au repos maximum pour économiser l'air. Nous sommes en situation de plongée longue
durée. Cette nuit, nous avons pris le quart à minuit et réussi à remonter le taux
de charge de nos batteries. Nous avons joué au chat et à la souris, il a été
nécessaire de faire très attention de ne pas nous faire repérer avec tous les
avions en patrouille dans le secteur. Nous sommes tous contents et fiers et en
récompense, pour éviter les mouvements dans le bord le poste de propreté a été
annulé, nous avons pu dormir jusqu'à 11H00. Nous avons mangé et repris le quart à
12H00, nous naviguons à l'immersion 200 mètres. Nous sommes proches du but, nous
nous terrons et attendons maintenant le feu vert pour le tir fictif.
Deux jours plus tard, 10ème jour de mer : Nous avons gagné la partie, le pacha est
souriant, c'est l'heure de la détente. Nous avions toute latitude pour mener à
bien cet exercice. Le Commandant fidèle à lui même, a su choisir le moment
opportun pour porter le coup décisif. La mer n'était pas très calme sans pour cela
être démontée. Nous nous sommes approchés lentement d'un groupe de deux chalutiers
de pêche, puis nous nous sommes positionnés juste entre deux, et avons fait
surface pendant le laps de temps imparti, le tir a été réussi. L'opération TOUCAN
est un succès pour nous. Compte tenu des déboires que nous avons rencontré, nous
pouvons même dire que c'est plus qu'une réussite. L'ingénieur mécanicien peut
enfin rafistoler le clapet de tête du schnorchel. Nous apprendrons beaucoup plus
tard que nous l'avons échappé belle... L'affaire prendra une tout autre tournure
9 ou 10 mois plus tard, certains membres d'équipage refusant d'appareiller...
Notre croisière ne s'arrêta pas là, nous avons rejoins le sous-marin REQUIN (mon
premier embarquement) pour chasser une escadre anglaise que nous torpillerons
(fictivement bien évidemment). Deux jours plus tard, nous devrons embarquer le
"Commandant de la base sous-marine" qui arrivera en hélico pour
participer à l'exercice contre les anglais. Malheureusement, nous n'avons pu faire
le transbordement à cause de l'état de la mer. Nous avons eu ordre de rallier un
secteur plus proche de Lorient où la mer devait être plus calme. En route, nous
avons reçu un message pour rallier Port Louis pour embarquer le Commandant. Nous
avions terminé les mouvements de transbordement et nous apprêtions à reprendre la
route... Tout à coup ! nous ressentons une grosse secousse, puis une autre et
encore une autre. Nous voyons arriver l'ingénieur en courant, il nous dit :
"faites une ronde d'étanchéité à l'avant", peu de temps après, nous
rendons compte : "rien à signaler à l'avant". Les informations nous
parviennent : La barre de direction ne fonctionne plus. Nous sommes bloqués à
quelques 500 mètres de notre bonne base de Lorient. Nous étions tous un peu
heureux, car nous avions l'espoir de rentrer plus tôt que prévu. Mais nos espoirs
s'effondraient dans la demi heure qui suivait, la barre fonctionnait de nouveau.
Nous reprenions la route dans une mauvaise mer... Le lendemain à 18H00, nous
passions au poste de combat pour faire notre carnage (fictif) sur l'escadre
anglaise. Aussitôt l'exercice terminé, nous avons mis le cap sur Lorient pour une
courte durée...
A peine un jour à quai et à 19H00, nous appareillons à nouveau pour Brest où nous
sommes arrivés le lendemain matin, le Pacha avait un briefing. Le commandant est
revenu à 18H00, pour nous expliquer que nous étions en exercices depuis ce matin
à 8H00. Nous reprenons la mer le jour même à 22H00 pour un exercice appelé
"BELETTE". Nous sommes un sous-marin nucléaire qui doit sortir de Brest
et réussir à décrocher plusieurs escorteurs qui nous suivent depuis notre sortie
du port.
Il y a maintenant plus de 24 heures qu'ils nous suivent grâce à leurs sonars
remorqués. Ceux-ci sont pénibles à supporter, ils font résonner la coque d'un son
strident qui nous cassent franchement les oreilles. Nous n'avons pas encore réussi
à les semer, mais cela ne saurait tarder, notre Pacha est tellement rusé. Celui ci
a une technique assez particulière pour jouer avec les sonars. Il utilise
plusieurs données recueillies grâce à plusieurs appareils dont le batycélérimètre
qui lui donnent entre autres, température et salinité de l'eau. En jouant avec les
couches d'eau chaude, d'eau froide et la teneur en sel, il parvenait à s'éclipser.
A peine le temps de le dire, c'était chose faite, les échos lancinants sur la
coque s'amenuisent, ils nous ont perdus, il faut maintenant réussir à s'éloigner
suffisamment pour qu'ils ne nous retrouvent pas. La nuit passe tranquille, au
matin je prenais le quart, les groupes électrogènes sont disposés pour la vidange,
nous allons faire surface. De plus nous sommes cap au 150 c'est à dire que nous
rentrons à Lorient, nous sommes le 12 décembre 1969. Le Pacha est souriant, encore
une réussite à son actif. J'apprends par l'Officier A.S.M. (Armes Sous Marines)
que je fais partie de la première bordée pour aller le 2 janvier en stage de ski
à Saint Anne la Condamine.