TEMPÊTE EN MER



Nous avons appareillé le dimanche 14 décembre 1969, il était 22H00. Peut-être une heure plus tard, je partais me coucher, nous étions en surface, la mer était déjà très forte (5 à 6), et le bateau fortement chahuté. Je ne sais si le pacha avait décidé de mettre les bouchées doubles, mais nous nous déplacions moteurs à plein régime. La mer devenait de plus en plus forte. Nous transitions vers Brest pour passer à la démagnétisation le lendemain, avant de partir vers des zones d'exercices. Je me suis réveillé pour prendre le quart à 4H00 du matin, nous étions toujours en surface et la mer était déchaînée. Le pacha prenant le quart avec moi, a fait descendre l’officier de quart pour mettre le périscope de veille en fonction. Nous embarquions beaucoup trop d’eau, le commandant ferma le panneau d’accès à la passerelle. Nous avons capelé les ceintures de sécurité (équipées de 2 longes) et fixé les mousquetons dans les anneaux latéraux de la baignoire. La mer était devenue beaucoup trop forte, nous ne pouvions plus pour des raisons de sécurité, faire plonger le sous-marin.

Les creux étaient tellement importants que le sommet des vagues atteignait une hauteur de plus de 10 à 15 mètres, peut-être plus encore, cela devenait terrifiant (l'impression d'un grand immeuble qui nous tombait dessus). J’ai compris à ce moment, la signification du terme « baignoire », qui désignait l’endroit où nous nous trouvions, à savoir la passerelle de veille. Nous naviguions bout à la lame, les vagues nous arrivaient de face, une hauteur absolument impressionnante. Nous prenions une grande respiration juste avant que celles-ci nous recouvrent totalement. Puis, nous nous cramponnions aux poignées latérales et commencions à compter dans notre tête, un, deux, trois,… vingt, vingt et un… Cela était interminable et tout à coup une sensation de légèreté... Tel un bouchon sur la mer déchaînée, nous ressortions de l'eau pour nous retrouver en surface. Nous étions ballottés de part et d’autre de la passerelle. Le bâtiment accusait une gîte jusqu'à 30° sur chaque bord et une assiette de plus ou moins 40°. Un régime absolument pénible pour l’équipage, de quart ou au repos, presque tous nous étions malades. Une pensée pour l'équipage de quart, et particulièrement, aux mécanos et électriciens de propulsion et aux auxiliaires qui devaient en baver.

Au bout d’un peu plus de deux heures à ce régime, le commandant annonçant « mer 9 » (voir ci-dessous - Echelle d'état de la mer), il prit la décision de descendre à bord car nous n’étions plus d’aucune utilité à la passerelle. Il me dit de me préparer à descendre et il choisit le moment opportun. Tout à coup, il cria « GO », j’ai libéré mes mousquetons et les ai coincés dans ma ceinture. Il ouvrit aussitôt le panneau dans lequel je me suis engouffré pour glisser jusqu’en bas, au poste central, accompagné par des trombes d’eau. Il me suivit immédiatement en refermant le panneau supérieur derrière lui. Durant cette opération qui laissa le panneau ouvert en tout et pour tout, 15 à 20 secondes, nous avons embarqué plusieurs tonnes d'eau. Les pompes d’assèchement tournaient à plein régime pour vider les cales. Le commandant me fit prendre poste au périscope de combat en doublage du périscope de veille. Il demanda au reste de l’équipage de quart au Central et CO de tourner sans moi pendant le quart restant jusqu’à 8H00 du matin. Il ordonna de renforcer la veille au groupement microphonique, nous étions dans une situation critique, nous n’avions pas intérêt à trouver un autre bateau sur notre route.

À 8H00, sans demander mon reste, je prenais un repos bien mérité, d’autant plus que, je ne le savais pas, le commandant avait demandé à l’officier de quart de m'exempter de poste de propreté. Il avait subi comme moi cette veille à la passerelle qui fut mémorable et exténuante, j’étais complètement lessivé. Je ne me souviens plus à quelle heure je me suis réveillé, le calme était revenu, une sensation bizarre m’envahit comme si mon corps était entièrement endolori, et en même temps, je ne le sentais plus. Nous avions réussi à plonger dans la matinée et nous sommes arrivés à Brest avec plus de trois heures de retard. La vie reprenait son cours...

Vraiment je venais de passer un moment fort dans ma vie de sous-marinier. Merci au Commandant Peyredieu du Charlat pour avoir mené à bien cette traversée inoubliable même si celle-ci eut un côté quelque peu désagréable.

C'est cela, la vie d'un sous-marinier...

Au passage, nous avions subi d'énormes dégâts du côté de la vaisselle. Une partie de celle-ci, écuelles et timbales en métal, n'ont pas trop souffert, mais la quasi-totalité de notre vaisselle en verre était hors d'usage et bonne pour la refonte. Nous n'avions pas de four de verrier sous la main et encore moins le souffleur de verre, mais nous avions de l'eau et des idées. Aussitôt en mer, nous est venue l'idée de fabriquer nos verres en partant de bouteilles en verre à notre disposition. Nous avons pris un seau d'eau, deux ceintures et une corde. Après avoir positionné les 2 ceintures serrées sur la bouteille à la bonne hauteur, avec un espace suffisant. Nous avons fait une boucle avec la corde, nous nous sommes placés face à face, deux membres d'équipage et, en bloquant la bouteille entre nos genoux, nous tirions alternativement chacun d'un côté de la corde de manière à échauffer une zone bien précise. Après un certain temps, deux à trois minutes, nous prenions rapidement la bouteille pour la plonger dans le seau d'eau froide. Nous entendions un petit clac significatif, la bouteille était cassée net à l'endroit choisi. Il suffisait de donner un petit coup de papier de verre pour émousser le bord afin de ne pas se couper. La méthode étant bonne, nous avons reconstitué notre stock de vaisselle à bon prix. Et je dois dire que certains verres étaient originaux de par la bouteille employée pour les confectionner. Place aux amateurs de verrerie originale.

Source : correspondance de l'époque avec mon épouse.


Echelle de Beaufort et d'état de la mer

La suite de cette saga avec la voie d'eau au panneau officier.